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ROSE ET NINETTE

barquer dans huit jours, le matin même du mardi gras. J’ai bien envie de retarder encore d’un paquebot. »

Il proposait cela timidement, ayant déjà remis son départ. Mais Ninette, toujours armée de la consigne maternelle, le détournait doucement de son projet. À quoi ce retard lui servirait-il, puisqu’il ne pouvait venir au bal, ni elles monter jusqu’à sa chambre dans leurs costumes ? et pour achever de le décider :

« D’ailleurs, un jour ou l’autre, ta présence connue ici nous causerait de vrais ennuis. Il faut que tu partes, petit père : le président Rémory doit venir te demander la main de ta fille, et ce n’est pas Anthyme…

— Bien, bien, je partirai, » disait le père dont l’accent bourru s’attendrissait au contact d’une bouche fraîche sur sa main, un muet remerciement de sa grande Rose.

Oh ! oui, celle-là l’aimait bien, sans pose ni grimaces ; Ninette l’aimait aussi, mais trop gamine encore, toujours en puissance de la mère et de cet implacable Anglaise, cette salutiste enragée, qui, du premier jour de son entrée chez les Fagan, s’était montrée méprisante du mari, créole parisien indolent et spectique, travaillant à la perdition des âmes par le théâtre. Sur la tendresse de sa Rose, ni le venin salutiste, ni les calomnies de la mère, rien n’avait pu mordre ; il la sentait à lui pour toujours, et