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ROSE ET NINETTE

victime et vous semblerez son bourreau. Non, puisque cette femme, en dépit de toutes ses promesses, quitte Paris en vous enlevant ou Rose ou Ninette, laissez-les-lui toutes les deux. Soyez pour vos enfants celui qui souffre loin d’elles, gardez les avantages de la séparation, le mirage de l’absence. Leur tendresse pour vous grandira ; et Mme  La Posterolle, encore coquette et jolie, maintenant que la voilà dans un nouveau ménage, avec un mari plus jeune qu’elle, sera peut-être la première à vous dire : « Débarrassez-m’en, » et vos filles derrière elle : « Reprends-nous bien vite. »

Là-dessus, les petites étaient parties, promettant d’écrire chacune une fois par semaine. Au commencement, les lettres arrivèrent très ponctuelles, tendres, imprégnées de ces lointaines effusions qui coûtent si peu, apportant aussi la chronique détaillée des fêtes dont Rose et Ninette prenaient leur part, arrivée de l’escadre, visite du Redoutable. De vrais morceaux de style que le père, tout heureux, promenait dans Paris, montrait à son cercle, aux foyers de théâtre. Puis Ninette écrivit seule, Rose accompagnait alors son beau-père en tournée de révision ; la semaine suivante, le courrier manqua tout à fait, remplacé par une dépêche annonçant que Ninette s’était foulé le pied dans la visite d’un cuirassé. Un autre mois, ni dépêche ni lettre, un simple billet de Mademoi-