Page:Daudet - Rose et Ninette, Le trésor d'Arlatan, La Fédor, 1911.djvu/57

Cette page a été validée par deux contributeurs.
54
ROSE ET NINETTE

dant, c’est que, ce soir-là, je vous veux avec moi et pas avec elle. »

Rose, toujours bonne fille, allait répondre « Rien de plus simple… » mais elle s’arrêta sur un coup d’œil de sa sœur. En même temps, le petit nez en l’air de Ninette objecta :

« Mais, cher père, tu ne songes pas qu’à chaque instant de ta répétition tu seras appelé sur la scène, dans les coulisses ; et nous, alors, nous resterons toutes seules…

— J’y ai pensé, répondit Fagan… Nous emmènerons Mme  Hulin.

Mme  Hulin ?… Jamais de la vie ! »

Debout, presque sans voix, Rose, la douce et jolie Rose, avait, en proférant ces mots, les traits bouleversés… Non, cela, non ! il n’y fallait pas compter… Pour rien au monde elle ne se montrerait en public avec cette personne. Le père ne se fâcha pas, retenant plutôt une envie de sourire, car il reconnaissait son sang et sa race et toute son île dans cet orage des colonies :

« Cette personne, comme tu dis, ma chère enfant, est une femme digne de tout respect, et je ne sais par qui ni dans quel but tu as été ainsi montée contre elle. D’ailleurs, comment peux-tu penser, toi, ma grande, ma Rose bien-aimée, que votre père vous donnerait, en public ou non, la compagnie d’une femme qui ne serait pas l’honnêteté même ? »