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ROSE ET NINETTE

« Tiens, M. de Fagan… Oh ! alors nous voilà tranquilles… »

Quand elle fut partie, Pauline Hulin approcha son fauteuil du guéridon, fit signe à Fagan de s’asseoir de l’autre côté et, ayant repris possession d’elle-même, remis en place d’un tour de main ses cheveux voletants et les honnêtes plis de son peignoir de laine aux dentelles floconneuses :

« Vous ne devineriez jamais qui est cet homme… oui, l’homme qui sort d’ici…

— Votre mari, je suppose.

— Vous le saviez ?

— Mais j’aurais mieux aimé l’apprendre de vous.

— Ecoutez-moi, » dit-elle.

Et à cette même place, avec les mêmes abois lointains des chiens de garde, la même trépidation grondante des trains de ceinture, dans ce cher petit salon où il lui avait conté son triste ménage, Fagan écouta les détresses du sien.

Mariée au Havre, il y a dix ans, avec un commissaire de marine, après quatre ans à peine elle avait dû se séparer ; et combien de patience encore pour vivre ces quatre années à côté d’un homme pareil. Pas méchant, mon Dieu ! ni débauché, ni joueur comme tant d’autres autour de lui, en cette frénétique existence des ports de mer ; mais si jaloux, tellement brutal