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ROSE ET NINETTE

Alors, quoi ? Quelle angoisse l’étouffait ? Après mille détours et subterfuges, il fut bien obligé de convenir que sa tristesse venait de savoir son amie mariée. Et tout au fond de lui, loin comme au bout d’une allée, apparaissait Pauline Hulin, sa taille un peu courte, ses beaux yeux large ouverts, aimantés, et cet air de franchise, de bonté rassurante enveloppant tout son être, d’un si absolu contraste avec celle qu’il venait de quitter. Evidemment, sans qu’il s’en doutât, des projets indécis s’ébauchaient dans son cœur depuis des semaines, qu’avait dispersés cette révélation en coup de foudre : Mme  Hulin est mariée !

Était-ce vrai, d’abord ? N’y aurait-il pas là un de ces commérages romanesques dont Mme  Ravaut était coutumière ? En y songeant bien, cependant, la singulière réserve de sa voisine au sujet de ce mari défunt ou non, alors que sur tant d’autres points ils vivaient dans une complète intimité d’âme, certains mots échappés au petit Maurice, l’avaient fait souvent réfléchir. Mais dans quel but ce mensonge qui ôtait à cette créature toute de loyauté, d’honnêteté, une grande partie de son charme ? Lui qui se livrait avec tant d’abandon…

Toutes les femmes étaient donc menteuses ; il n’en fallait croire aucune, n’attacher même pas à leurs paroles la valeur d’un témoignage d’enfant devant les tribunaux !…