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ROSE ET NINETTE

— Alors, que signifie : quel dommage !

— Eh ! oui, quel dommage que Mme  Hulin ne soit pas veuve ! »

Et devant son air stupéfait elle reprit ; « Vous avez dit aux enfants qu’elle était veuve : elle est seulement séparée de son mari.

— Qu’en savez-vous ?

— Ma police ! »

Elle riait si mauvaisement que d’un haussement d’épaules il sembla rejeter bien loin, comme détails de peu d’importance, Mme  Hulin et son veuvage. Ils continuèrent à marcher sans une parole ; mais la pluie qui augmentait, la sortie bruyante d’une salle d’armes d’étudiants remplissant tout à coup l’avenue déserte de rires et de bousculades et rompant définitivement le charme de l’original rendez-vous, ils se séparèrent à une prochaine station de fiacres.

Pourquoi revenait-il le cœur serré de cette entrevue ? Il avait la certitude que ses filles ne s’éloigneraient pas de Paris, que ce mariage ne changerait rien à son existence si calme, si heureuse. Est-ce que des souvenirs, des regrets informulés remueraient en lui, au rajeunissement de cette blonde devenue rousse, à son délicat parfum de verveine longtemps aimé ? Non, mille fois non. La première surprise passée, l’astucieux sourire avait suffi pour lui rappeler des années d’énervement et de souffrance.