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ROSE ET NINETTE

rouillés, et le beau groupe de Carpeaux avec sa mappemonde que soutiennent dans un mouvement tournant les quatre femmes de bronze aux jambes élancées et nerveuses. Parfois un couple, chassé par l’ondée, se levait de quelque banc, passait à côté d’eux, les frôlant d’un sourire furtif et complice ; car comment supposer ce qu’ils venaient faire là, ce qu’ils étaient l’un pour l’autre ?

Et peu à peu la douceur de ce matin d’automne, l’imprévu d’une causerie dont il rêvait déjà vaguement pour le théâtre, rendaient Fagan attentif à cette voix qu’il savait cependant astucieuse et menteuse. Après avoir dit : « Conseillez-moi… » c’est elle qui le conseillait, et si sagement ! l’engageait à se remarier lui aussi, à ne pas finir sa vie dans l’abandon, convenant qu’il ferait un excellent mari avec une autre mieux docile à ses goûts, à ses idées. Amusé du tour que prenait la conversation, il ripostait, affectueux, presque gaiment, quand elle l’interrompit :

« Quel dommage que Mme  Hulin…

Mme  Hulin ?

— Oui, votre propriétaire… »

De nouveau frémissait au coin des lèvres fines un petit accent de fourberie. Il tressaillit :

« Vous la connaissez donc ?

— Assez pour savoir qu’elle est le type absolu qui vous convenait…