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ROSE ET NINETTE

mières semaines de mariage !… » Nous ne connaissions pas ces îles, nous n’y étions jamais allés ; figurez-vous mon étonnement ! »

Mme Hulin essayait d’atténuer encore : « Une faiblesse assez inoffensive, en somme.

— Oui, reprit Fagan, mais qui devient si lassante, si déconcertante… Demander à sa compagne de vie : « D’où viens-tu ?… Qu’as-tu fait ?… » et savoir que rien n’est vrai de ses réponses, que les mille hasards de Paris vous apprendront qu’elle a menti, et sans raison, et avec un entêtement, un acharnement contre lesquels ne prévaudraient ni prières ni preuves. Oh ! sa petite voix pointue : « Mais je t’assure… mais absolument… c’est toi qui te trompes ou qui me trompes. » Le triste, c’est qu’avec l’âge, avec l’affirmation que prend la femme, le mensonge s’envenimait, devenait dangereux, à moi et aux autres. Sur ses ennemis de société, c’étaient des inventions de toutes pièces, les plus délirantes, les plus abominables, auxquelles elle finissait par croire elle-même. Et cela, de cet air posé, raisonnable, où rien ne trahit la névropathe qu’elle est, sinon un petit geste uniforme, automatique, un ruban, un pli de sa robe qu’elle taquine, qu’elle pince et fronce entre deux doigts pendant des heures… Le monde se prêtant sans contrôle aux infamies qu’on lui apporte, le mal que peut y faire impunément une créature infernale comme