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ROSE ET NINETTE

pauvre petit cerveau. Vous voyez le malentendu : l’homme qui se marie pour échapper à la vie factice, se faire un foyer qui ne soit pas celui des Français ou de l’Opéra-Comique ; l’épouse au contraire qui n’a cherché qu’un nom bien en vedette, l’occasion d’être de toutes les répétitions générales et à la première page des journaux.

— Cruel malentendu, en effet, » dit Mme  Hulin, mais sans conviction.

Quelque chose doutait dans la loyauté de sa voix et de sa physionomie si franche. Fagan, qui le comprenait bien, insista pour la convaincre :

« C’est moi qui cédai, comme le plus épris ; car je l’étais éperdument, et non pas de bruit imprimé ni de sotte gloriole, comme elle ! Tous les soirs, pendant des années, on m’a traîné dans les spectacles les plus variés ; nous faisions partie de ce hideux Tout-Paris qui se montre partout, bien plus cabotin que les cabotins eux-mêmes, et pour qui jamais il n’y a de relâche. Aux premières de n’importe quels théâtres, nous occupions invariablement les mêmes places ; je voyais se dégarnir à l’orchestre les crânes de la critique, se creuser les rides de mes voisins ou de mes vis-à-vis toujours invariables eux aussi, et j’entendais ma femme dire : « Tiens, Mme  X… a changé les brides de son chapeau rose pour faire croire qu’il est