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ROSE ET NINETTE

« Pourtant, il peut arriver qu’une femme qui sort tout émue d’un beau spectacle, d’une belle lecture, soit tentée de remercier l’auteur.

— Elle écrira, peut-être ; mais, si elle est délicate, elle n’enverra pas la lettre… Je vous défie de me dire le contraire, ajouta-t-il en la regardant bien à fond.

— Oh ! moi, je ne suis pas expansive… »

Une plainte de l’enfant l’interrompit, l’attira dans la chambre voisine, et revenue au bout d’un instant près de sa table à ouvrage : « Il est agité ce soir, » dit-elle la voix baissée.

Sur ce diapason qui faisait leur causerie plus intime, Régis reprit :

« Ainsi vous vous figuriez un Fagan coureur et viveur… Détrompez-vous. La vie que je mène en ce moment, je la rêvais dans le mariage ; et c’est de ma paresse à sortir, de mes habitudes casanières, que ma femme m’en a surtout voulu. Ce fut son premier grief, le motif initial de la rupture… À qui la faute ? Je me marie à vingt-huit ans, joué sur toutes les scènes, gavé de tous les plaisirs que le théâtre peut donner, et je tombe sur une femme raffolant des premières, des bénéfices, des billets d’auteur… On m’a parlé d’un grand-père Ravaut qui avait fait fortune en fabriquant et louant des costumes de théâtre ; et peut-être cet atavisme de clinquant, de paillons, de perruques, de gilets à fleurs, a-t-il agi sur ce