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ROSE ET NINETTE

tendresse et leur admiration réciproques. La femme, engagée au Vaudeville, venait d’être malade deux ans, oubliée, remplacée à son théâtre ; et la façon dont le mari quêtait un rôle pour elle à de Fagan, parlait de sa beauté, de son génie, les regards d’adoration, d’illusion, qu’il coulait vers ce pauvre visage meurtri, stigmatisé, dont les yeux lui disaient si doucement merci avec le double orgueil reconnaissant de la femme et de l’artiste, il ne se pouvait rien voir de plus touchant.

Le rôle accordé, un autre promis au mari, Fagan les regardait s’en aller d’un même pas joyeux, non comme un couple chic, séparés, les bras ballants, mais bras dessus bras dessous, bien crochés, bien serrés l’un contre l’autre ; on sentait que la mort seule pourrait les découpler. Et c’était des comédiens, de ces âmes futiles et vaniteuses dont tant de fois il avait raillé la sottise et l’enfantillage ; oui, chez d’humbles cabots, c’est là qu’il trouvait le mariage rêvé, idéal. Ah ! si Pauline voulait, que de belles années à vivre ainsi, tous deux, unis en dépit de la vie et du monde…

« Monsieur n’est pas malade ? » Ce fut le premier mot d’Anthyme devant l’étrange physionomie de son maître rentrant le soir au lointain logis. Non, non, pas du tout malade. Seulement, toujours cette ardeur fébrile, cette chaude et surabondante expansion de vie gon-