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ROSE ET NINETTE

— Mort ! et… et depuis, quand ? bégaya la voix de Fagan tout à coup descendue aux cordes graves.

— Un mois, à peu près ; il m’écrivait le 4 au matin, et se tuait le soir du même jour, dans son lit, avec un revolver d’ordonnance… Ah ! un passionné, un délirant de l’amour, celui-là… »

Et, ramené à son tic, le conseiller, tordant la bouche, la prunelle renversée, se reprit à miauler : « Iso..o,.olde ! Geli..i..iebte !… » pendant que Régis ébloui, assommé, gagnait la porte en butant contre les partitions et les dictionnaires.

Mort ! Alors tout s’expliquait, le départ de Pauline, et bien réellement pour le Havre, son absence nécessitée par le règlement de la succession… Quelques mois d’un deuil de convenance, et cette adorable femme pourrait devenir la sienne. Plus rien ne s’y opposait. La jalousie de Rose ? un enfantillage dont de bons baisers, un bracelet de plus dans la corbeille, auraient facilement raison. Mort ! mort !… Était-ce possible que d’un mot si noir pût jaillir une telle joie ? Il délirait, parlait tout haut en sortant de chez le conseiller, descendant la rue des Saints-Pères, vers les quais. Ce n’est donc rien que l’âge, et les dents qui manquent, et les tempes éclaircies ! Vingt ans auparavant, il ne marchait pas avec plus d’allégresse, en quit-