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ce brave Bompard si maigre autrefois avec sa tête de Palikare moustachu, ses yeux de chèvre folle ; gras maintenant, boudenfle, comme ils disent, mais la même moustache, les mêmes yeux délirants dans sa face élargie et bouffie.

Sans regarder ni à droite ni à gauche, il s’avança derrière l’huissier jusqu’à la barre.

Demande :

« C’est bien vous Gonzague Bompard ?

— À dire le vrai, monsieur le président, j’en doute presque quand je vois — geste emphatique de Bompard vers le banc des accusés — quand je vois, dis-je, sur ce banc d’infamie notre gloire la plus pure, quand j’entends conspuer dans cette enceinte l’honneur et la probité mêmes…

— Merci, Gonzague, » fit de sa place Tartarin étranglé d’émotion.

Il avait supporté sans broncher toutes les injures, mais la sympathie de son vieux camarade lui crevait le cœur, lui faisait monter les larmes comme à un enfant sur lequel on s’apitoie. Bompard reprit :

« Va, mon vaillant concitoyen, tu n’y moisiras pas sur ton sale blanc, et j’apporte ici la preuve…, la preuve… »