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dre compte des risques bien plus grands qu’elle courait là-haut, et tellement folle d’épouvante, que ses dames d’honneur n’avaient pu la décider à descendre qu’en lui montrant de loin une boîte de sardines ouverte, comme on offre une sucrerie à une perruche échappée de sa cage.

« Ma chère enfant, lui dit Tartarin d’un ton solennel quand on l’eut amenée près de lui, je suis prisonnier de guerre. Que préférez-vous ? Venir avec moi ou bien rester dans l’île ? Je pense que les Anglais vous y laisseront, mais en ce cas vous ne me verrez plus. »

Sans hésiter, bien en face, elle répondit dans son gazouillis enfantin et clair :

« Moi rester l’île, touzou.

— C’est bien, vous êtes libre, » dit Tartarin, résigné ; mais au fond le pauvre homme avait le cœur en morceaux.

Le soir, dans la solitude de la résidence, abandonné de sa femme, de ses dignitaires, n’ayant plus près de lui que Pascalon, il rêva longtemps à la fenêtre ouverte.

Au loin clignotaient les lumières de la ville ; on entendait des voix irritées, les chansons des Anglais campés sur le rivage et le fracas du Petit-Rhône grossi par les pluies.