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Les uns sortent des pharmacies, chargés de paquets, de grandes bouteilles ; d’autres, toute une noce, entrent chez le bijoutier pour choisir, après un rusé marchandage, les boucles à longs pendants, la chaîne de cou de l’accordée. Et ces jupes rudes, ces visages halés et sauvages, cet affairement avide font songer à quelque ville de Vendée prise par les chouans, au temps des grandes guerres.

Ce matin-là, le troisième lundi de février, l’animation était vive et la foule compacte comme aux plus beaux jours de l’été, dont un ciel sans nuage, doré d’un chaud soleil, pouvait donner l’illusion. On parlait, on gesticulait par groupes ; mais il s’agissait moins d’achat ou de vente que d’un événement qui suspendait le trafic, tournait tous les regards, toutes les têtes, et l’œil vaste des ruminants, et l’oreille inquiète des petits chevaux camarguais vers l’église de Sainte-Perpétue. C’est que le bruit venait de se répandre sur le marché, où il causait l’émoi d’une hausse extraordinaire, que l’on baptisait aujourd’hui même le garçon de Numa, ce petit Roumestan dont la naissance, trois semaines auparavant, avait été accueillie par des transports de joie en Aps et dans tout le Midi provençal.

Malheureusement, le baptême, retardé à cause du grand deuil de la famille, devait, pour les mêmes motifs de convenance, garder un caractère d’incognito ; et sans quelques vieilles sorcières du pays des Baux qui installent chaque lundi sur les degrés de Sainte-Perpétue un petit marché d’herbes aromatiques, de simples séchés et parfumés cueillis