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son peuple, sa Provence mobile et nerveuse, race de grillons bruns, toujours sur la porte et toujours chantant !

Lui-même en était bien le prototype, déjà guéri de son grand désespoir du matin, de ses dégoûts, de son amour, balayés au premier souille du mistral qui grondait fort dans la vallée du Rhône, soulevant le train, l’empêchant d’avancer, chassant tout, les arbres courbés dans une attitude de fuite, les Alpilles reculées, le soleil secoué de brusques éclipses, tandis qu’au loin la ville d’Aps, sous un rayon de lumière fouettée, groupait ses monuments au pied de l’antique tour des Antonins, comme un troupeau de bœufs se serre en pleine Camargue autour du plus vieux taureau, pour faire tête au vent.

Et c’est au son de cette grandiose fanfare du mistral que Numa fit son entrée en gare. Par un sentiment de délicatesse conforme au sien, la famille avait tenu son arrivée secrète, pour éviter les orphéons, bannières, députations solennelles. Seule, la tante Portal l’attendait, pompeusement installée dans le fauteuil du chef de gare, une chaufferette sous ses pieds. Dès qu’elle aperçut son neveu, le visage rose de la grosse dame, épanoui dans son repos, prit une expression désolée, se gonfla sous ses coques blanches ; et les bras tendus elle éclata en sanglots et en lamentations :

Aïe de nous, quel malheur !… Une si jolie petite, péchère !… Et si bravette !… si doucette qu’on se serait levé le pain de la bouche pour elle…