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fourbu, dégoûté, une envie de pleurer, puis de dormir pour ne plus penser, pour ne plus voir surtout le rire hébété de cette coquine, droite devant lui, dépoitraillée, toute sa chair hérissée et frissonnante du baiser interrompu. Mais, dans l’agitation de nos journées, les heures se tiennent et se bousculent comme les vagues. Au lieu du bon repos qu’il comptait trouver en rentrant, un nouveau coup l’attendait au ministère, une dépêche que Méjean avait ouverte en son absence et qu’il lui tendit très ému.

Hortense meurt. Elle veut te voir. Viens vite.

VEUVE PORTAL.

Tout son effroyable égoïsme lui sortit dans un cri désolé :

« C’est un dévouement que je vais perdre là !… »

Ensuite il pensa à sa femme présente à cette agonie et qui laissait signer tante Portal. Sa rancune ne fléchissait pas, ne fléchirait probablement jamais ; si elle avait voulu pourtant, comme il eût recommencé l’existence à côté d’elle, revenu des imprudentes folies, familial, honnête, presque austère. Et ne songeant plus au mal qu’il avait fait, il lui reprochait sa dureté comme une injustice.

Il passa la nuit à corriger les épreuves de son discours, s’interrompant pour écrire des brouillons de lettres furieuses ou ironiques, grondantes et sifflantes, à cette scélérate d’Alice Bachellery. Méjean veillait aussi au secrétariat, rongé de chagrin, cherchant l’oubli dans un travail acharné ; et Numa,