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Le tapis de l’escalier amortissant sa montée rapide, il arriva, sans que rien l’eût annoncé, dans le salon tendu d’étoffes japonaises aux nuances délicieusement fausses pour l’or factice des cheveux de la petite.

— Qui est là ? demanda du divan une jolie voix irritée.

— Moi, pardi !…

Il y eut un cri, un bond, et, dans l’indécision du crépuscule, l’éclair blanc de ses jupes rabattues, la chanteuse se dressa, épouvantée, tandis que le beau Lappara, immobile, écroulé, sans même la force de rajuster son désordre, fixait les fleurs du tapis pour ne pas regarder le patron. Rien à nier. Le divan haletait encore.

— Canailles ! râla Roumestan, étranglé d’une de ces fureurs où la bête rugit dans l’homme avec l’envie de déchirer, de mordre, bien plus que de frapper.

Il se retrouva dehors sans savoir, emporté par la crainte de sa propre violence. À la même place, à la même heure, quelques jours avant, sa femme avait reçu comme lui ce coup de la trahison, la blessure outrageante et basse, autrement cruelle, autrement imméritée que la sienne mais il n’y pensa pas un instant, tout à l’indignation de l’injure personnelle. Non, jamais vilenie semblable ne s’était vue sous le soleil. Ce Lappara qu’il aimait comme un fils, cette drôlesse pour laquelle il avait compromis jusqu’à sa fortune politique !

— Canailles !… canailles ! répétait-il tout haut dans la rue déserte, sous une pénétrante petite