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puisque c’était à qui les braverait le mieux.

Sa mère l’avait prise, la serrait contre son cœur, essayant d’apaiser la révolte de cette jeune conscience blessée dans ses croyances, dans ses plus chères superstitions, et doucement elle la caressait, comme on berce :

« Si, tu pardonneras… Tu feras comme j’ai fait… C’est notre lot, vois-tu… Ah ! dans le premier moment, moi aussi, j’ai eu un grand chagrin, une belle envie de sauter par la fenêtre… Mais j’ai pensé à mon enfant, à mon pauvre petit André qui naissait à la vie, qui depuis a grandi, qui est mort en aimant, en respectant tous les siens… Toi de même tu pardonneras pour que ton enfant ait l’heureuse tranquillité que vous a faite mon courage, pour qu’il ne soit pas un de ces demi-orphelins que les parents se partagent, qu’ils élèvent dans la haine et le mépris l’un de l’autre… Tu songeras aussi que ton père et ta mère ont déjà bien souffert et que d’autres désespoirs les menacent…

Elle s’arrêta, oppressée. Puis avec un accent solennel :

— Ma fille, tous les chagrins s’apaisent, toutes les blessures peuvent guérir… Il n’y a qu’un malheur irréparable, c’est la mort de ce qu’on aime…

Dans l’épuisement ému qui suivit ces derniers mots, Rosalie voyait grandir la figure de sa mère, de tout ce que perdait le père à ses yeux. Elle s’en voulait de l’avoir méconnue si longtemps sous cette apparente faiblesse faite de coups douloureux, d’abdication sublime et résignée. Aussi ce fut pour elle, rien que pour elle qu’en termes doux, presque de