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Rosalie secoua la tête.

« Vous ne connaissez pas cet homme, mon père… Il emploiera son astuce à m’envelopper, à me reprendre, à faire de moi sa dupe, une dupe volontaire, acceptant une existence avilie, sans dignité… Votre fille n’est pas de ces femmes-là… Je veux une rupture complète, irréparable, hautement annoncée au monde… »

De la table où elle rangeait les cartes et les jetons, sans se retourner, madame Le Quesnoy intervint doucement :

« Pardonne, mon enfant, pardonne.

— Oui, c’est facile à dire quand on a un mari loyal et droit comme le tien, quand on ne connaît pas cet étouffement du mensonge et de la trahison en trame autour de soi… C’est un hypocrite, je vous dis. Il a sa morale de Chambéry et celle de la rue de Londres… Les mots et les actes toujours en désaccord… Deux paroles, deux visages… Toute la félinerie et la séduction de sa race… L’homme du Midi enfin ! »

Et s’oubliant dans l’éclat de sa colère :

« D’ailleurs, j’avais déjà pardonné une fois… Oui, deux ans après mon mariage… Je ne vous en ai pas parlé, je n’en ai parlé à personne… J’ai été très malheureuse… Alors nous ne sommes restés ensemble qu’aux prix d’un serment… Mais il ne vit que de parjures… Maintenant, c’est fini, bien fini. »

Le président n’insista plus, se leva lentement et vint à sa femme. Il y eut un chuchotement comme un débat, surprenant, entre cet homme autoritaire et l’humble créature annihilée : « Il faut lui dire…