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grand Lappar s’amusait à consterner Rochemaure : « Vicomte, il faut nous pourvoir… Nous serons ratiboisés avant huit jours. »

Sur un toast du ministre à l’année nouvelle et à ses chers collaborateurs, porté d’une voix émue où roulaient des larmes, on se sépara. Méjean, resté le dernier, fit deux ou trois tours de long en large avec son ami, sans qu’ils eussent le courage de se dire un mot ; puis il partit. Malgré tout son désir de garder près de lui ce jour-là cette nature droite qui l’intimidait comme un reproche de conscience, mais le soutenait, le rassurait, Numa ne pouvait empêcher Méjean de courir à ses visites, distributions de vœux et de cadeaux, pas plus qu’il ne pouvait interdire à son huissier d’aller se déharnacher dans sa famille de son épée et de sa culotte courte.

Quelle solitude, ce ministère ! Un dimanche d’usine, la vapeur éteinte et muette. Et, dans toutes les pièces, en bas, en haut, dans son cabinet où il essayait vainement d’écrire, dans sa chambre qu’il se prenait à remplir de sanglots, partout cette petite neige de janvier tourbillonnait aux larges fenêtres, voilait l’horizon, accentuait un silence de steppe.

Ô détresse des grandeurs !…

Une pendule sonna quatre heures, une autre lui répondit, d’autres encore dans le désert du vaste palais où il semblait qu’il n’y eût plus que l’heure de vivante. L’idée de rester là jusqu’au soir, en tête à tête avec son chagrin, l’épouvantait. Il aurait voulu se dégeler à un peu d’amitié, de tendresse. Tant de calorifères, de bouches de chaleur, de moitiés d’arbres en combustion ne faisaient pas