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joli monde qui se rencontrait dans un bouge du boulevard Rochechouart appelé le « Paillasson ».

Ce Paillasson, où le temps se passait, dans une flâne crapuleuse, à tripoter des cartes, boire des bocks, ressasser des potins de petits théâtres et de basse galanterie, était l’ennemi, l’épouvante d’Audiberte, l’occasion de colères sauvages sous lesquelles les deux hommes courbaient le dos comme sous un orage des tropiques, quittes à maudire ensemble leur despote en jupon vert, parlant d’elle du ton mystérieux et haineux d’écoliers ou de domestiques : « Qu’est-ce qu’elle a dit ?… Combien elle t’a donné ?… » et s’entendant pour filer derrière ses talons. Audiberte le savait, les surveillait, s’activait dehors, impatiente de rentrer, et ce jour-là surtout, étant partie dès le matin. Elle s’arrêta une seconde en montant, et n’entendant tambourin ni flûtet :

« Ah ! le gueusard… il est encore à son Paillasson… »

Mais, dès l’entrée, le père accourut au-devant d’elle et arrêta l’explosion…

« Crie pas !… Il y a de monde pour toi… Un monsieur du menistère. »

Le monsieur l’attendait au salon ; car ainsi qu’il arrive dans ces habitations de pacotille faites à la mécanique, dont tous les étages se reproduisent exactement, ils avaient un salon, gaufré, crémeux, pareil à une pâtisserie d’œufs battus, un salon qui rendait la paysanne très fière. Et Méjean considérait, plein de compassion, le mobilier provençal éperdu dans cette salle d’attente de dentiste, sous