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ayant entonné la dernière chanson de son époux, mais là, tout à fait gaillarde : J’tiens ça d’papa…, j’tiens ça d’maman…, personne ne se scandalisa, au contraire.

Mais dehors, le déjeuner servi sur une massive table de pierre, et quand la première faim fut apaisée, la calme splendeur de l’horizon autour d’eux, la vallée du Graisivaudan, les Bauges, les sévères contreforts de la Grande-Chartreuse, et le contraste, dans cette nature aux grandes lignes, du petit verger en terrasse où vivait ce vieux solitaire, tout à Dieu, à ses tulipiers, à ses abeilles, les pénétra peu à peu de quelque chose de grave, de doux qui ressemblait à du recueillement. Au dessert, le ministre entr’ouvrant le guide pour retremper sa mémoire, parla de Bayard, « de sa pauvre dame de mère qui tendrement plorait », le jour où l’enfant partant pour Chambéry, page chez le duc de Savoie, faisait caracoler son petit roussin devant la porte du Nord, à cette place même où l’ombre de la grosse tour s’allongeait majestueuse et frêle, comme le fantôme du vieux castel évanoui.

Et Numa, se montant, leur lisait les belles paroles de madame Hélène à son fils, au moment du départ : « Pierre, mon amy, je vous recommande que devant toutes choses aimiez, craigniez et serviez Dieu, sans aucunement l’offenser, s’il vous est possible. » Debout sur la terrasse, avec un geste large qui allait jusqu’à Chambéry : « Voilà ce qu’il faut dire aux enfants, voilà ce que tous les parents, ce que tous les maîtres… »

Il s’arrêta, se frappa le front :