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les maisons basses toutes lépreuses, faisant apparaître aux fenêtres garnies d’écriteaux, au seuil des boutiques de bâtons ferrés, de parasols, de passe-montagnes, de pierres calcaires, minerais, cristaux et autres attrape-baigneurs, des têtes qui s’inclinent, des fronts qui se découvrent à la vue du ministre. Les goitreux eux-mêmes le reconnaissent, saluent de leurs rires inconscients et rauques le grand maître de l’Université de France, tandis que ces dames, très fières, se tiennent droites et dignes en face de lui, sentant bien l’honneur qui leur est fait. Elles ne se mettent à l’aise qu’une fois hors du pays sur la belle route de Pontcharra, où les mulets soufflent au bas de la tour de Treuil que Bompard a fixée comme rendez-vous.

Les minutes se passent, pas de Bompard. On le sait bon cavalier, il s’en est vanté si souvent. On s’étonne, on s’irrite, Numa surtout, impatient d’être loin sur cette route blanche, unie, qui paraît sans fin, d’avancer dans cette journée qui s’ouvre comme une veine, pleine d’espérances et d’aventures. Enfin, d’un tourbillon de poussière où halète une voix effrayée : « ho !… la… ho !… la… » jaillit la tête de Bompard, coiffée d’un de ces casques en liège couverts de toile blanche, à vague tournure de scaphandres, en usage dans l’armée indo-anglaise, et que le Méridional a emporté dans le but d’agrandir, de dramatiser son voyage, laissant croire au chapelier qu’il partait pour Bombay ou pour Calcutta.

« Arrive donc, lambin. »

Bompard hocha la tête d’un air tragique. Évidemment il s’était passé des choses au départ, et le