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Bachellery, la diva des Bouffes, le joli mitron déluré et viveur, s’entourant de jeunes freluquets, improvisant des fêtes, des parties, des soupers que la mère, toujours présente, ne défendait qu’à demi des interprétations mauvaises.

Chaque matin, un panier au blanc tendelet bordé d’un baldaquin de franges se rangeait au perron une heure avant que ces dames descendissent en robe claire, pendant que piaffait autour d’elles une joyeuse cavalcade, tout ce qu’il y avait de libre, de garçon aux Alpes Dauphinoises et dans les hôtels voisins, le lieutenant-juge, l’architecte américain, et surtout le jeune homme au ressort, que la diva ne semblait plus désespérer de ses innocents enfantillages. La voiture bourrée de manteaux pour le retour, un gros panier de provisions sur le siège, on traversait le pays au grand trot, en route pour la Chartreuse de Saint-Hugon, trois heures dans la montagne sur des lacets à pic, au ras des cimes noires de sapins dégringolant vers des précipices, vers des torrents tout blancs d’écume ; ou bien dans la direction de Bramefarine, où l’on déjeune d’un fromage de montagne arrosé d’un petit clairet très raide qui fait danser les Alpes, le mont Blanc, tout le merveilleux horizon de glaces, de crêtes bleues que l’on découvre de là-haut, avec de petits lacs, fragments clairs au pied des roches comme des morceaux de ciel cassé. On descendait, à la ramasse, dans des traîneaux de feuillage, sans dossier, où il faut se cramponner aux branches, lancé à corps perdu sur les pentes, tiré par un montagnard qui va droit devant lui sur le velours