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du terrible Bouchereau qui vient d’entrer et de s’asseoir à deux places de moi.

Qu’il a donc l’air dur, cet homme-là. Les mains sur la pomme de sa canne, son menton posé dessus, il parie tout haut, le regard droit, sans s’adresser à personne. Est-ce que je dois prendre pour moi ce qu’il dit de l’imprudence des baigneuses, de leurs robes de batiste claire, de la sottise des sorties après le dîner dans un pays où les soirées sont d’une fraîcheur mortelle ?

Méchant homme ! On croirait qu’il sait que je quête ce soir à l’église d’Arvillard pour l’œuvre de la Propagation. Le père Olivieri doit raconter en chair ses missions dans le Thibet, sa captivité, son martyre ; mademoiselle Bachellery, chanter l’Ave Maria de Gounod. Et je me fais une fête du retour par toutes les petites rues noires avec des lanternes, comme une vraie retraite aux flambeaux.

Si c’est une consultation que M. Bouchereau me donne là, je n’en veux pas, il est trop tard. D’abord, monsieur, j’ai carte blanche de mon petit docteur, qui est bien plus aimable que vous et m’a même permis un petit tour de valse au salon pour finir.

Oh ! rien qu’un, par exemple. Du reste, quand je danse un peu trop, tout le monde est après moi. On ne sait pas comme je suis robuste avec ma taille de grand fuseau, et qu’une Parisienne n’est jamais malade de trop danser. « Prenez garde… Ne vous fatiguez pas… » L’une m’apporte mon châle ; celui-là ferme les croisées dans mon dos, de peur que je m’enrhume. Mais le plus empressé encore, c’est le jeune homme au ressort, parce