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même allure, brandit de nouveaux haltères, et comme cela quinze tours de suite. J’imagine que la section des agités à Charenton doit avoir un peu de la physionomie de mon allée vers onze heures.

6 août.

C’est donc vrai, Numa vient nous voir. Oh ! que je suis contente, que je suis contente Ta lettre est arrivée par le courrier d’une heure, dont la distribution se fait dans le bureau de l’hôtel. Minute solennelle, décisive pour la couleur de la journée. Le bureau plein, on se range en demi-cercle autour de la grosse madame Laugeron, très imposante dans son peignoir de flanelle bleue, pendant que de sa voix autoritaire, un peu maniérée, d’ancienne dame de compagnie, elle annonce les adresses multicolores du courrier. Chacun s’avance à l’appel, et je dois te dire qu’on met un certain amour-propre à avoir un fort courrier. À quoi n’en met-on pas du reste de l’amour-propre dans ce perpétuel frottement de vanités et de sottises ? Quand je pense que j’en arrive à être fière de mes deux heures d’inhalation ! « M. le prince d’Anhalt… M. Vasseur… Mademoiselle Le Quesnoy… » Déception. Ce n’est que mon journal de modes. « Mademoiselle Le Quesnoy… » Je regarde s’il n’y a plus rien pour moi et je me sauve avec ta chère lettre, jusqu’au fond du jardin, sur un banc enfermé de grands noisetiers.

Ça, c’est mon banc, le coin où je m’isole pour rêver, faire mes romans car, chose étonnante,