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mais il ne nous salue jamais. Un vieux loup…

… Je viens d’aller boire mon demi-verre à la source. Cette source précieuse est à dix minutes du pays, en montant du côté des hauts-fourneaux, dans une gorge où roule et gronde un torrent, tout mousseux d’écume, descendu du glacier qui ferme la perspective, luisant et clair entre les Alpes bleues, et qui semble, dans cette blancheur des eaux battues, fondre et délayer sans cesse sa base invisible et neigeuse. De grandes roches noires, suintant goutte à goutte parmi les fougères et les lichens, des plantations de sapins, de verdure sombre, un sol où des fragments de mica étincellent dans la poussière de charbon, voilà l’endroit. Mais ce que je ne puis te rendre, c’est le formidable bruit, le torrent jaillissant dans les pierres, le marteau à vapeur d’une scierie qu’il active, et, dans l’étroite gorge, sur une route unique, toujours encombrée, des tombereaux de houille, des bestiaux en file, des cavalcades d’excursionnistes, des buveurs qui vont ou reviennent ; j’oubliais l’apparition, au seuil des maisons misérables, de quelque horrible crétin mâle ou femelle étalant un goitre hideux, une grosse figure hébétée, la bouche ouverte et grognante. Le crétinisme est une des productions du pays Il semble que la nature soit trop forte ici pour l’homme, que le minerai de fer, de cuivre, de soufre l’étreigne, le torde, l’étouffe, que cette eau des cimes le glace, comme ces pauvres arbres qu’on voit pousser tout rabougris entre deux roches. Encore une de ces impressions d’arrivée