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yeux des danseurs un mouvement de course effrénée et folle comme la leur.

Là-bas, tout au fond, Cadaillac qui s’accote au buffet, une assiette et un verre dans les mains, écoute, mange et boit, pénétré de cette chaleur de plaisir jusqu’au fond de son scepticisme :

« Rappelle-toi ceci, petit, dit-il à Boissaric… Il faut toujours rester jusqu’à la fin des bals… Les femmes sont plus jolies dans cette pâleur moite, qui n’est pas encore de la fatigue, pas plus que ce petit filet blanc aux fenêtres n’est encore le jour… Il y a dans l’air un peu de musique, de la poussière qui sent bon, une demi-ivresse qui affine les sensations et qu’il faut savourer en mangeant un chaud-froid de volaille arrosé de vin frappé… Tiens ! regarde-moi ça… »

Derrière la glace sans tain, la farandole défilait, les bras étendus, un cordon alterné de noir et de clair, assoupli par l’affaissement des toilettes et des coiffures, le froissement de deux heures de danse.

« Est-ce joli, hein ?… Et le gaillard de la fin, quel galbe !… »

Il ajouta froidement, en posant son verre : « Du reste, il ne fera pas lesou !… »