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se dissipent ici, devant l’immense comptoir chargé de cristaux fins, de fruits, de sandwichs en pyramides, font place – l’humanité reprenant ses droits – à des attitudes convoitantes et voraces. Au moindre espace libre entre deux corsages, entre deux têtes penchées vers le morceau de saumon ou l’aile de volaille de leur petite assiette, un bras s’avance quêtant un verre, une fourchette, un petit pain, frôlant la poudre de riz des épaules, d’une manche noire ou d’un brillant et rude uniforme. On cause, on s’anime, les yeux étincellent, les rires sonnent sous l’influence des vins mousseux. Mille propos se croisent, propos interrompus, réponses à des demandes déjà oubliées. Dans un coin, des petits cris indignés : « Quelle horreur !… C’est affreux !… » autour du savant Béchut, l’ennemi des femmes, continuant à invectiver le sexe faible. Une querelle de musiciens :

— Ah ! mon cher, prenez garde… vous niez la quinte augmentée.

— C’est vrai qu’elle n’a que seize ans ?

— Seize ans de fût et quelques années de bouteille.

— Mayol !… Allons donc, Mayol !… fini, vidé.

Et dire que l’Opéra donne tous les soirs deux mille francs à ça !

— Oui, mais il prend mille francs de billets pour chauffer sa salle, et Cadaillac lui rattrape le reste à l’écarté.

— Bordeaux… chocolat… champagne…