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— Pardon, je vous quitte… voici l’entr’acte… et le ministre se précipite, rendant à son obscurité le jeune maître des requêtes qui désormais n’en sortira plus. On se pousse vers le buffet ; et les mines soulagées de tous ces malheureux à qui l’on a rendu le mouvement et la parole, peuvent faire croire à Numa que sa protégée vient d’avoir un très grand succès. On le presse, on le félicite « divin… délicieux… » mais personne ne lui parle positivement de ce qui l’intéresse, et il saisit enfin Cadaillac qui passe près de lui, marchant de côté, refoulant le flot humain de son énorme épaule en levier.

— Eh bien !… Comment l’avez-vous trouvée ?

— Qui donc ?

— La petite… fait Numa d’un ton qu’il essaie de rendre indifférent. L’autre, bonne lame, comprend, et, sans broncher :

— Une révélation…

L’amoureux rougit comme à vingt ans, chez Malmus, quand l’ancienne à tous lui faisait du pied sous la table.

— Alors, vous croyez qu’à l’Opéra ?…

— Sans doute… Mais il faut un bon montreur, dit Cadaillac avec son rire muet ; et, pendant que le ministre court féliciter mademoiselle Alice, le bon montreur continue dans la direction du buffet qu’on aperçoit encadré par une large glace sans tain au fond d’une salle aux boiseries brun et or. Malgré la sévérité des tentures, l’air rogue et majestueux des maîtres d’hôtel, choisis certainement parmi les ratés universitaires, la mauvaise humeur et l’ennui