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Le goût de la musique s’est beaucoup répandu en France depuis quelques années. À Paris surtout. Les concerts du dimanche et de la semaine sainte, une foule de sociétés particulières ont surexcité le sentiment public, vulgarisé les œuvres classiques des grands maîtres, fait une mode de l’érudition musicale. Mais, au fond, Paris est trop vivant, trop cérébral, pour bien aimer la musique, cette grande absorbeuse qui vous tient immobile, sans voix et sans pensée, dans un réseau flottant d’harmonie, vous berce, vous hypnotise comme la mer ; et les folies qu’il fait pour elle sont celles d’un gommeux pour une fille à la mode, une passion de chic, de galerie, banale et vide jusqu’à l’ennui.

L’ennui !

C’était bien la note dominante dans ce concert de l’Instruction publique. Sous l’admiration de commande, les physionomies extasiées qui font partie de la mondanité des femmes les plus sincères, il remontait peu à peu, figeait le sourire et l’éclair des yeux, affaissait ces jolies poses languissantes d’oiseaux branchés ou buvant goutte à goutte. Une après l’autre, sur les longues files de chaises enchaînées, elles se débattaient, avec des « bravos… divins… délicieux… » pour se ranimer elles-mêmes, et succombaient à la torpeur envahissante qui se dégageait comme une brume de cette marée sonore, reculant dans un lointain d’indifférence tous les artistes qui défilaient tour à tour.

On avait là pourtant les plus fameux, les plus illustres de Paris, interprétant la musique classique avec toute la science qu’elle exige et qui ne s’acquiert,