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— Quès aco Bompard ?  

— L’ami du ministre… Comment ne le connaissez-vous pas ?

— Du Midi ?

— Té ! parbleu…

Bompard, en effet, qui, sanglé d’un superbe habit neuf à parements de velours, les gants dans l’entre-bâillure du gilet, essayait d’animer la soirée de son ami par une conversation variée et soutenue. Inconnu dans le monde officiel, où il se produisait pour la première fois, on peut dire qu’il faisait sensation en promenant d’un groupe à l’autre ses facultés inventives, ses visions fulgurantes, récits d’amours royales, aventures et combats, triomphes aux tirs fédéraux, qui donnaient à tous les visages autour de lui la même expression d’étonnement, de gêne et d’inquiétude. Il y avait là certes un élément de gaieté, mais compris seulement de quelques intimes, impuissant à distraire l’ennui qui pénétrait jusque dans la salle du concert, une pièce immense et très pittoresque avec ses deux étages de galeries et son plafond en vitrage qu’on pouvait croire à ciel ouvert.

Une décoration verte de palmiers, de bananiers à longues feuilles immobiles sous les lustres faisait un fond de fraîcheur aux toilettes des femmes alignées et serrées sur d’innombrables rangs de chaises. C’était une boule de nuques penchées et ondulantes, d’épaules et de bras sortis des corsages comme du chiffonnage d’une fleur entr’ouverte, de coiffures piquées d’étoiles, les diamants mêlés à l’éclair bleu des cheveux noirs, à l’or filé des crépelures