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gloires de papier, gonflées de gaz et de réclame, faisant songer aux petits ballons roses qui n’ont qu’un jour dans le soleil et la poussière des jardins publics. Et sait-on ce que celle-là venait solliciter au ministère la grâce de figurer sur le programme du premier concert. La petite Bachellery à l’Instruction publique ?… C’était si gai, si fou, que Numa voulut le lui entendre demander à elle-même ; et par lettre ministérielle sentant le buffle et les gants de cuirassier, lui fit savoir qu’il la recevrait le lendemain. Le lendemain, mademoiselle Bachellery ne vint pas.

— Elle aura changé d’idée, dit Lappara… Elle st si enfant !

Le ministre se piqua, n’en parla plus de deux jours, et le troisième l’envoya chercher.

Maintenant elle attendait dans le salon des fêtes, rouge et or, si imposant avec ses hautes fenêtres de plain-pied sur le jardin dépouillé, ses tentures des Gobelins et le grand Molière de marbre assis et rêvant tout au fond. Un Pleyel, quelques pupitres pour les répétitions tenaient à peine un coin de la vaste salle, dont l’aspect froid de musée désert eût impressionné toute autre que la petite Bachellery ; mais elle était si enfant ! Tentée par le grand parquet luisant et ciré, ne s’amusait-elle pas à faire des glissades d’un bout à l’autre, serrée dans ses fourrures, les bras dans son manchon trop petit, le nez en l’air sous sa toque, avec des allures de coryphée dansant le « ballet sur la glace » du Prophète.

Roumestan la surprit à cet exercice.