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— Pardi ! mon cher, tous les Méridionaux ne sont pas comme vous, refroidis et mesurés, avares de leurs paroles… Vous êtes un faux du Midi, vous, un renégat, un franciot, comme on dit chez nous… Méridional, ça !… Un homme qui n’a jamais menti… et qui n’aime pas la verveine ! ajouta-t-il avec une indignation comique.

— Pas si franciot que j’en ai l’air, monsieur le ministre, répliqua Méjean, toujours très calme… À mon arrivée à Paris, il y a vingt ans, je sentais terriblement mon pays… De l’aplomb, de l’accent, des gestes… bavard et inventif comme…

— Comme Bompard… souffla Roumestan qui n’aimait pas qu’on raillât l’ami de son cœur, mais ne s’en faisait pas faute.

— Oui, ma foi, presque autant que Bompard… un instinct me poussait à ne jamais dire un mot de vrai… Un matin, la honte m’a pris, j’ai travaillé à me corriger… L’exagération extérieure, on en vient encore à bout, en baissant la voix, en serrant les coudes. Mais le dedans, ce qui bouillonne, ce qui veut sortir… Alors j’ai pris un parti héroïque. Chaque fois que je me surprenais à côté du vrai, c’était une condamnation à ne plus parler le reste du jour… voilà comment j’ai pu réformer ma nature… Tout de même l’instinct est là, au fond de ma froideur… Quelquefois il m’arrive de m’arrêter net au milieu d’une phrase. Ce n’est pas le mot qui manque, au contraire !… je me retiens parce que je sens que je vais mentir.

— Terrible Midi ! Pas moyen de lui échapper… fit le bon Numa envoyant la fumée de son cigare