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rossignoou. Dans moi-même, je me pensais : Comment ! Valmajour… »

C’était le même petit récit qu’il faisait là-bas, sur l’estrade des Arènes. Devant le succès obtenu, il l’avait retenu ingénument, et mot pour mot. Mais, cette fois, il le débitait avec une certaine hésitation timide, une émotion augmentant de minute en minute, à mesure qu’il voyait Roumestan se transformer devant lui sous le large plastron de linge fin aux boutons de perles, l’habit noir d’une coupe sévère que le valet de chambre lui passait.

À présent, moussu Numa lui semblait grandi. La tête, que la préoccupation de ne pas chiffonner le nœud de mousseline blanche faisait raide et solennelle, s’éclairait des reflets pâles du grand cordon de Sainte-Anne autour du cou et de la large plaque d’Isabelle la Catholique en soleil sur le drap mat. Et tout à coup le paysan, saisi d’un grand respect effaré, comprenait enfin qu’il avait en face de lui un des privilèges de la terre, cet être mystérieux, presque chimérique, le puissant manitou vers qui les vœux, les désirs, les suppliques, les prières ne s’élèvent que sur du papier grand format, tellement haut, que les humbles ne le voient jamais, tellement superbe, qu’ils ne prononcent son nom qu’à demi-voix, avec une sorte de crainte recueillie et d’emphase ignorante : Le Ministre !

Il en fut si troublé, le pauvre Valmajour, que c’est à peine s’il entendit les paroles bienveillantes dont Roumestan le congédiait, l’engageant à revenir le voir mais seulement dans une quinzaine, quand il serait installé au ministère.