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LA MULE DU PAPE.

— Ah ! le bandit ! il s’est douté de quelque chose !… pensait-elle en secouant ses grelots avec fureur… ; mais c’est égal, va, mauvais ! tu le retrouveras au retour, ton coup de sabot…, je te le garde !

Et elle le lui garda.

Après le départ de Tistet, la mule du Pape retrouva son train de vie tranquille et ses allures d’autrefois. Plus de Quiquet, plus de Béluguet à l’écurie. Les beaux jours du vin à la française étaient revenus, et avec eux la bonne humeur, les longues siestes, et le petit pas de gavotte quand elle passait sur le pont d’Avignon. Pourtant, depuis son aventure, on lui marquait toujours un peu de froideur dans la ville. Il y avait des chuchotements sur sa route ; les vieilles gens hochaient la tête, les enfants riaient en se montrant le clocheton. Le bon Pape lui-même n’avait plus autant de confiance en son amie, et, lorsqu’il se laissait aller à faire un petit somme sur son dos, le dimanche, en revenant de la vigne, il gardait toujours cette arrière-pensée : « Si