Page:Daudet - Lettres de mon moulin.djvu/93

Cette page a été validée par deux contributeurs.
85
LA MULE DU PAPE.


— Miséricorde ! fit le pauvre Pape en levant les yeux… Mais elle est donc devenue folle ! Mais elle va se tuer… Veux-tu bien descendre, malheureuse !…

Pécaïre ! elle n’aurait pas mieux demandé, elle, que de descendre… ; mais par où ? L’escalier, il n’y fallait pas songer : ça se monte encore, ces choses-là ; mais, à la descente, il y aurait de quoi se rompre cent fois les jambes… Et la pauvre mule se désolait, et, tout en rôdant sur la plate-forme avec ses gros yeux pleins de vertige, elle pensait à Tistet Védène :

— Ah ! bandit, si j’en réchappe… quel coup de sabot demain matin !

Cette idée de coup de sabot lui redonnait un peu de cœur au ventre ; sans cela elle n’aurait pas pu se tenir… Enfin on parvint à la tirer de là-haut ; mais ce fut toute une affaire. Il fallut la descendre avec un cric, des cordes, une civière. Et vous pensez quelle humiliation pour la mule d’un pape de se voir pendue à cette hauteur, nageant des pattes dans le vide comme un hanneton au bout