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LA MULE DU PAPE.

mule ! Et quand vous passiez près de lui, — fussiez-vous un pauvre petit tireur de garance ou le grand viguier de la ville, — il vous donnait sa bénédiction si poliment ! Un vrai pape d’Yvetot, mais d’un Yvetot de Provence, avec quelque chose de fin dans le rire, un brin de marjolaine à sa barrette, et pas la moindre Jeanneton… La seule Jeanneton qu’on lui ait jamais connue, à ce bon père, c’était sa vigne, — une petite vigne qu’il avait plantée lui-même, à trois lieues d’Avignon, dans les myrtes de Château-Neuf.

Tous les dimanches, en sortant de vêpres, le digne homme allait lui faire sa cour ; et quand il était là-haut, assis au bon soleil, sa mule près de lui, ses cardinaux tout autour étendus aux pieds des souches, alors il faisait déboucher un flacon de vin du cru, — ce beau vin, couleur de rubis qui s’est appelé depuis le Château-Neuf des Papes, — et il le dégustait par petits coups, en regardant sa vigne d’un air attendri. Puis, le flacon vidé, le jour tombant, il rentrait