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L’AGONIE DE LA SÉMILLANTE.

l’équipage, car j’ignorais qu’il y eût un berger dans l’île, s’approcha de nous craintivement.

C’était un vieux lépreux, aux trois quarts idiot, atteint de je ne sais quel mal scorbutique qui lui faisait de grosses lèvres lippues, horribles à voir. On lui expliqua à grand’peine de quoi il s’agissait. Alors, soulevant du doigt sa lèvre malade, le vieux nous raconta qu’en effet, le jour en question, vers midi, il entendit de sa cabane un craquement effroyable sur les roches. Comme l’île était toute couverte d’eau, il n’avait pas pu sortir, et ce fut le lendemain seulement qu’en ouvrant sa porte il avait vu le rivage encombré de débris et de cadavres laissés là par la mer. Épouvanté, il s’était enfui en courant vers sa barque, pour aller à Bonifacio chercher du monde.




Fatigué d’en avoir tant dit, le berger s’assit, et le patron reprit la parole :