Page:Daudet - Lettres de mon moulin.djvu/113

Cette page a été validée par deux contributeurs.
105
LE PHARE DES SANGUINAIRES.

les unes remplies par une énorme lentille de cristal, les autres ouvertes sur un grand vitrage immobile qui met la flamme à l’abri du vent… En entrant j’étais ébloui. Ces cuivres, ces étains, ces réflecteurs de métal blanc, ces murs de cristal bombé qui tournaient, avec des grands cercles bleuâtres, tout ce miroitement, tout ce cliquetis de lumières, me donnait un moment de vertige.

Peu à peu, cependant, mes yeux s’y faisaient, et je venais m’asseoir au pied même de la lampe, à côté du gardien qui lisait son Plutarque à haute voix, de peur de s’endormir…

Au dehors, le noir, l’abîme. Sur le petit balcon qui tourne autour du vitrage, le vent court comme un fou, en hurlant. Le phare craque, la mer ronfle. À la pointe de l’île, sur les brisants, les lames font comme des coups de canon… Par moments un doigt invisible frappe aux carreaux : quelque oiseau de nuit, que la lumière attire, et qui vient se casser la tête contre le cristal…