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LETTRES DE MON MOULIN.

Quelle nuit, monsieur ! La mer, le vent, n’avaient plus leurs voix naturelles. À tout moment il me semblait que quelqu’un m’appelait dans l’escalier… Avec cela une fièvre, une soif ! Mais vous ne m’auriez pas fait descendre… j’avais trop peur du mort. Pourtant, au petit jour, le courage me revint un peu. Je portai mon camarade sur son lit ; un drap dessus, un bout de prière, et puis vite aux signaux d’alarme.

« Malheureusement, la mer était trop grosse ; j’eus beau appeler, appeler, personne ne vint… Me voilà seul dans le phare avec mon pauvre Tchéco, et Dieu sait pour combien de temps… J’espérais pouvoir le garder près de moi jusqu’à l’arrivée du bateau ; mais au bout de trois jours ce n’était plus possible… Comment faire ? le porter dehors ? l’enterrer ? La roche était trop dure, et il y a tant de corbeaux dans l’île. C’était pitié de leur abandonner ce chrétien. Alors je songeai à le descendre dans une des logettes du lazaret… Ça me prit tout une après-midi cette triste corvée-là, et je vous ré-