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chasse ! Tonnerre de sort ! je suis le maître ici. (Il s’approche de la malade et lui prend la main.) Et, toi, chère femme, consentiras-tu à introduire un étranger dans ton cœur ? Cette âme, dont j’ai gardé jusqu’à ce jour la clef d’or pour moi seul, voudras-tu l’ouvrir à un autre que ton ami ? Eh quoi ! me rendrais-tu jaloux de cet homme qui vient nous dérober nos chers secrets, pénétrer brutalement dans notre sanctuaire, et fouler aux pieds nos beaux tapis d’amour ? Ne serais-je pas trop malheureux de te voir parler à voix basse à un autre que moi, t’épancher dans le sein d’un autre que ton amant, pleurer sur une autre épaule que la mienne des larmes qui ne seraient pas des larmes d’amour pour moi ? S’il est vrai que tu vas mourir, ne serait-ce pas affreux de me priver des quelques instants qui me restent à passer avec toi ? À la veille d’un grand départ et d’une éternelle séparation, nos moindres minutes ne doivent-elles pas nous être d’un prix inestimable ? Maîtresse, maîtresse, réponds-moi !

le prêtre, s’approchant de l’autre côté du lit, et prenant l’autre main de la malade.

Ma fille, avant de paraître devant Dieu, ne voulez-vous pas faire belle votre âme et lui remettre sa blanche robe d’innocence ? Consentez-vous à vous condamner à d’éternelles souffrances, et si le souci de vous-même ne vous touche pas, voulez-vous livrer aux supplices