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l’amant.

Pourquoi parler de nous quitter, quand nous sommes dans les bras l’un de l’autre ? Pourquoi se torturer, pourquoi s’effrayer en vain ?

la maîtresse.

Oh ! je ne m’effraye pas ; je te jure qu’en ayant ta main dans la mienne, tes yeux sur mes yeux, ton haleine sur mes lèvres, je suis prête à faire le grand voyage sans trop de regrets. Mourir en pleine joie, en plein amour !… J’ai toujours rêvé de partir ainsi. Eh bien ! qu’as-tu ?

l’amant.

Tu vois, je pleure.

la maîtresse.

Comment ! tu pleures ? tu pleures, et c’est moi !… Venez vite, chers yeux, que je boive toutes vos larmes… Voilà qui est fait, n’en parlons plus. (Long silence.) — Sais-tu qu’il faut que je t’aime bien pour n’avoir pas de remords à propos de l’autre ? Que veux-tu ! l’amour de toi remplit tellement mon cœur qu’il n’y laisse pas le moindre coin où se puissent glisser l’image du passé et le remords.