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le voyais jamais. Les professeurs méprisaient le petit Chose et le regardaient du haut de leur toque. Quant à mes collègues, la sympathie que l’homme aux clefs paraissait me témoigner me les avait aliénés ; d’ailleurs, depuis ma présentation aux sous-officiers, je n’étais plus retourné au café Barbette, et ces braves gens ne me le pardonnaient pas.

Il n’y avait pas jusqu’au portier Cassagne et au maître d’armes Roger qui ne fussent contre moi. Le maître d’armes surtout semblait m’en vouloir terriblement. Quand je passais à côté de lui, il frisait sa moustache d’un air féroce et roulait de gros yeux, comme s’il eût voulu sabrer un cent d’Arabes. Une fois, il dit très-haut à Cassagne, en me regardant, qu’il n’aimait pas les espions. Cassagne ne répondit pas ; mais je vis bien à son air qu’il ne les aimait pas non plus… De quels espions s’agissait-il ?… Cela me fit beaucoup penser.

Devant cette antipathie universelle, j’avais pris bravement mon parti. Le maître des moyens partageait avec moi une petite chambre, au troisième étage, sous les combles ; c’est là que je me réfugiais pendant les heures de classe. Comme mon collègue passait tout son temps au café Barbette, la chambre m’appartenait ; c’était ma chambre, mon chez moi.

À peine rentré, je m’enfermais à double tour, je traînais ma malle — il n’y avait pas de chaises dans ma chambre — devant un vieux bureau criblé de taches d’encre et d’inscriptions au canif, j’étalais dessus tous mes livres, et à l’ouvrage !…