Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/51

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avise un propret, reluisant, avec une belle enseigne toute neuve :

Au Compagnon du tour de France.

— Voici mon affaire, se dit-il. Et, après quelques minutes d’hésitation, — c’est la première fois que le petit Chose entre dans un restaurant, — il pousse résolument la porte.

Le cabaret est désert pour le moment. Des murs peints à la chaux… quelques tables de chêne… Dans un coin de longues cannes de compagnons, à bouts de cuivre, ornées de rubans multicolores… Au comptoir, un gros homme qui ronfle, le nez dans un journal.

— Holà ! quelqu’un ! dit le petit Chose, en frappant de son poing fermé sur les tables, comme un vieux coureur de tavernes.

Le gros homme du comptoir ne se réveille pas pour si peu ; mais du fond de l’arrière-boutique, la cabaretière accourt… En voyant le nouveau client que l’ange Hasard lui amène, elle pousse un grand cri :

— Miséricorde ! monsieur Daniel !

— Annou ! ma vieille Annou ! répond le petit Chose. Et les voilà dans les bras l’un de l’autre.

Eh ! mon Dieu, oui, c’est Annou, la vieille Annou, anciennement bonne des Eyssette, maintenant cabaretière, mère des compagnons, mariée à Jean Peyrol, ce gros qui ronfle là-bas dans le comptoir… Et comme elle est heureuse, si vous saviez,