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nier sous le bras ! et son père lui criait plus que jamais : « Jacques, tu es un âne !… »

Ah ! pauvre cher Eyssette (Jacques) ! comme je vous aurais sauté au cou de bon cœur, si j’avais osé. Mais je n’osai pas… Songez donc !… Religion ! Religion ! poëme en douze chants !… Pourtant la vérité m’oblige à dire que ce poème en douze chants était loin d’être terminé. Je crois même qu’il n’y avait encore de fait que les quatre premiers vers du premier chant ; mais vous savez, en ces sortes d’ouvrages la mise en train est toujours ce qu’il y a de plus difficile, et comme disait Eyssette (Jacques) avec beaucoup de raison : « Maintenant que j’ai mes quatre premiers vers, le reste n’est rien ; ce n’est qu’une affaire de temps. »[1]

Hélas ! ce reste qui n’était rien qu’une affaire de temps, jamais Eyssette (Jacques) n’en put venir à bout… Que voulez-vous ? les poëmes ont leurs destinées ; il paraît que la destinée de Religion ! Religion ! poëme en douze chants était de ne pas être en douze chants du tout. Le poëte eut beau faire, il n’alla jamais plus loin que les quatre premiers vers. C’était fatal… À la fin, le malheureux

  1. Les voici, ces quatre vers. Les voici tels que je les ai vus ce soir-là, moulés en belle ronde, à la première page du cahier rouge :

    Religion ! Religion !
    Mot sublime ! Mystère !
    Voix touchante et solitaire.
    Compassion ! Compassion !

    Ne riez pas cela lui avait coûté beaucoup de mal.