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envie de lui dire : « Oh ! non, ne riez pas ; je vous en prie. »

Alors, comme je le regardais ainsi tristement avec ma dépêche à la main, M. Eyssette leva la tête. Nos regards se rencontrèrent, et je ne sais pas ce qu’il vit dans le mien, mais je sais que sa figure se décomposa tout à coup, qu’un grand cri jaillit de sa poitrine, qu’il me dit d’une voix à fendre l’âme : « Il est mort, n’est-ce pas ? » que la dépêche glissa de mes doigts, que je tombai dans ses bras en sanglotant, et que nous pleurâmes longuement, éperdus, dans les bras l’un de l’autre, tandis qu’à nos pieds Finet jouait avec la dépêche, l’horrible dépêche de mort, cause de toutes nos larmes.

Écoutez, je ne mens pas : voilà longtemps que ces choses se sont passées, voilà longtemps qu’il dort dans la terre, mon cher abbé que j’aimais tant ; eh bien, encore aujourd’hui, quand je reçois une dépêche, je ne peux pas l’ouvrir sans un frisson de terreur. Il me semble que je vais lire qu’il est mort, et qu’il faut prier pour lui !