Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/267

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dras de la porcelaine… tu vendras de la porcelaine !… » C’était à devenir fou.

Pierrotte crut que l’émotion et la joie m’avaient coupé la parole.

— Nous causerons de cela ce soir, me dit-il pour me donner le loisir de me remettre… Maintenant, montez vers la petite… C’est bien le cas de le dire… le temps doit lui sembler long.

Je montai vers la petite, que je trouvai installée dans le salon jonquille, à broder ses éternelles pantoufles en compagnie de la dame de grand mérite… Que ma chère Camille me pardonne ! jamais mademoiselle Pierrotte ne me parut si Pierrotte que ce jour-là ; jamais sa façon tranquille de tirer l’aiguille et de compter ses points à haute voix ne me causa tant d’irritation. Avec ses petits doigts rouges, sa joue en fleur, son air paisible, elle ressemblait à une de ces bergères en biscuit colorié qui venaient de me crier d’une façon si impertinente : « Tu vendras de la porcelaine ! » Par bonheur, les yeux noirs étaient là, eux aussi, un peu voilés, un peu mélancoliques, mais si naïvement joyeux de me revoir que je me sentis tout ému. Cela ne dura pas longtemps. Presque sur mes talons, Pierrotte fit son entrée. Sans doute il n’avait plus autant de confiance dans la dame de grand mérite.

À partir de ce moment, les yeux noirs disparurent et sur toute la ligne la porcelaine triompha. Pierrotte était très gai, très bavard, insupportable : les « c’est bien le cas de le dire » pleuvaient plus drus