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du concierge montait faire le gros ouvrage ; ma mère, au feu des fourneaux, calcinait ses belles mains blanches que j’aimais tant à embrasser ; quant aux provisions, c’est Jacques qui les faisait. On lui mettait un grand panier sous le bras, en lui disant « Tu achèteras ça et ça » ; et il achetait ça et ça très bien, toujours en pleurant, par exemple.

Pauvre Jacques ! il n’était pas heureux, lui non plus. M. Eyssette, de le voir éternellement la larme à l’œil, avait fini par le prendre en grippe et l’abreuvait de taloches… On entendait tout le jour : « Jacques, tu es un butor ! Jacques, tu es un âne ! » Le fait est que, lorsque son père était là, le malheureux Jacques perdait tous ses moyens. Les efforts qu’il faisait pour retenir ses larmes le rendaient laid. M. Eyssette lui portait malheur. Écoutez la scène de la cruche :

Un soir, au moment de se mettre à table, on s’aperçoit qu’il n’y a plus une goutte d’eau dans la maison.

— Si vous voulez, j’irai en chercher, dit ce bon enfant de Jacques.

Et le voilà qui prend la cruche, une grosse cruche de grès.

M. Eyssette hausse les épaules :

— Si c’est Jacques qui y va, dit-il, la cruche est cassée, c’est sûr.

— Tu entends, Jacques, — c’est madame Eyssette qui parle avec sa voix tranquille, — tu entends, ne la casse pas, fais bien attention.